samedi 28 mars 2009

Crise politique en Italie autour de l'euthanasie


Eluana Englaro, âgée de 38 ans, était maintenue dans un état végétatif irréversible depuis l'accident de la route qui l'a plongée dans le coma en janvier 1992, à l'âge de 20 ans. Le 3 février dernier, conformément à une décision de justice autorisant les médecins à la "débrancher", la jeune femme avait été transférée dans une clinique acceptant de mettre en œuvre ce droit à mourir sur fond de débat entre partisans et opposants de l'euthanasie. Elle est décédée le 9 février, alors que les sénateurs examinaient un projet de loi visant à interdire de cesser d'alimenter un patient.

La jeune femme s'est retrouvée ces derniers mois au cœur d'un intense débat, politique et judiciaire, devenant le symbole de la lutte pour le droit à mourir. Fin 2007, la Cour de cassation avait renvoyé la décision de suspendre les soins devant la cour d'appel de Milan qui l'a jugée recevable huit mois plus tard. La Cour constitutionnelle a entériné cette décision l'été dernier en vertu de l'article 32 de la Constitution qui précise : «Personne ne saurait être contraint à suivre un traitement sanitaire.» La famille a définitivement obtenu gain de cause par un arrêt de la Cour de cassation le 13 novembre dernier. Malgré cette décision, le ministre des Affaires sociales, Maurizio Sacconi, a adressé en décembre une mise en garde aux établissements qui accepteraient d'accueillir Eluana et promulgué une ordonnance interdisant aux hôpitaux publics de suspendre les soins. En dépit des multiples pressions de l'Église, du Vatican et du gouvernement, la clinique d'Udine, spécialisée dans les soins à des personnes en situation désespérée, s'est déclarée en janvier disposée à recevoir la malade.

Le cas d'Eluana a divisé le pays, en une ligne de fracture qui traverse tous les partis politiques. L'Eglise et le Vatican s'opposent au combat du père de la jeune femme, Beppino, qui, depuis dix ans, souhaite qu'on la laisse mourir.

Pour "sauver" Eluana Englaro, Silvio Berlusconi était prêt à une crise politique. La bataille politique a même atteint le sommet de l'Etat. Dans un rare conflit institutionnel, le président italien Giorgio Napolitano a refusé de signer le décret pris en urgence le vendredi 6 février par le gouvernement en vue d'interdire aux médecins de suspendre l'alimentation des patients à des fins d'euthanasie.

Du coup, le gouvernement a eu l'intention de passer outre ce refus présidentiel en transformant son décret en projet de loi et en le faisant voter en procédure accélérée, dans les jours qui ont suivis, par le Parlement. Si Giorgio Napolitano a refusé de signer le décret d'urgence, adopté par l’exécutif Berlusconi et qui vise à interrompre le processus devant mettre fin à la vie végétative d’Eluana Englaro, c’est parce qu’il l’a jugé inconstitutionnel, car elle annule une décision des plus hauts magistrats du pays.

Dans l'histoire de la République, cet acte ne s'est produit qu'à cinq reprises. C'est l'un des seuls droits dont dispose le président avec celui de nommer le président du Conseil et de dissoudre les assemblées. L'opposition est aussi venue au secours de M. Napolitano, en qui elle voit un rempart contre la volonté de pouvoir de M. Berlusconi et contre l'influence du Vatican et de l'Eglise dans le débat public.

Silvio Berlusconi a estimé que l'interruption progressive de l'alimentation et de l'hydratation de la jeune femme, justifiait une telle décision d'urgence. Le décret, précise que toute mesure entraînant une euthanasie doit être suspendue "dans l'attente de l'approbation d'une législation complète en matière de fin de vie".

Mais le président du Conseil, fortement encouragé par le Vatican, a envisagé de réunir en urgence le Parlement, pour modifier la Constitution, afin d’instituer une loi qui ordonnerait qu’Eluana soit maintenue en vie. Il devra cependant faire ses comptes avec l’opposition et les associations de citoyens qui sont en train d’organiser différentes manifestations pour protester « contre ces choix qui détruisent certains piliers fondamentaux de le démocratie républicaine. »

Silvio Berlusconi, se positionnant comme un "père avant tout", n’a pas hésiter donc, pour "préserver la vie", à tordre les règles applicables en matière de séparation des pouvoirs et d'adoption des textes législatifs et règlementaires « pénible bureaucratie » et à ignorer une décision judiciaire devenue définitive « une sentence de condamnation à mort ». Le chef de gouvernement a qualifié l'opposition politique de « porteuse d'une culture de la mort », à défier un Président de la République garant de l’ordre et enfin, à annoncer sa claire volonté de changer la Constitution « d'inspiration soviétique » pour pouvoir « mieux gouverner ». Cette crise politique -l'opposition dénonçant l'autoritarisme du gouvernement- s'est doublée d'un débat sur l'opportunité pour le Vatican de se ranger aussi ouvertement aux côtés de Silvio Berlusconi.

Plusieurs obstacles se sont multipliés depuis. Des régions, comme la Lombardie, ont refusé d'accueillir Eluana dans une structure adaptée. Le ministre de la santé a menacé de couper les vivres des centres de soins qui accepteraient de se livrer à ce qu'il considère comme un "assassinat". L'Eglise catholique avait jeté tout son poids dans la bataille pour empêcher ce qu'elle considérait comme une euthanasie et un homicide.

Le pape Benoît XVI a souligné que l'euthanasie est une "fausse solution au drame de la souffrance" et qu'il s'agit d'un acte "indigne de l'homme". Le cardinal Javier Lozano Barragan, président du conseil pontifical pour les opérateurs sanitaires du Vatican, a réagi au transfert d'Eluana, lançant un appel pour que soit arrêté «cet abominable assassinat». Le ministre de la santé italien, Maurizio Sacconi, a fait savoir que le gouvernement était "en train d'évaluer la conformité de la maison de repos et les modalités d'hospitalisation d'Eluana pour son 'dernier voyage'.

En Italie, pays de forte tradition catholique, la question de l'euthanasie divise fortement la société. Si le « suicide assisté » (l'euthanasie active) est sévèrement puni par la loi, l'euthanasie « passive » est en revanche officieusement tolérée. En l’absence de tout cadre juridique, l’interruption du traitement thérapeutique d’un malade est toutefois acceptée : un malade conscient peut ainsi demander la fin de l’acharnement thérapeutique ou la suspension des soins. Cet épisode a ainsi largement divisé l'opinion publique : 47% des Italiens, selon le politologue Renato Mannhiemer, étaient favorables à l'arrêt des soins. Autant étaient d'un avis contraire et 6% ne se prononçaient pas.

Sur Internet, les blogs internationaux et en particuliers italiens retentissent des échos d'un vif débat avant tout politique. Un post publié sur Blogitalia par l'internaute le « pro-vie » Davide Rosato l'été dernier alors qu'il était établi qu'Eluana ne se réveillerait pas, demande: « Comment ne pas se rebeller face à la volonté d'un Etat qui tue l'espérance humaine, même si elle est très faible? ». Dans une tirade aux forts accents pro-vie, l'auteur rappelle qu'Eluana « va mourir de faim et de soif », si ses parents obtiennent le droit de la débrancher, avant d'enjoindre le peuple italien à prier pour elle, pour qui "tout n'est pas perdu grâce à Dieu".

Beppe Grillo, un comique, comédien et bloggueur italien dont le blog est l'un des plus lus en Italie (il est classé parmi les 20 les plus populaires au monde), relève mardi 10 février qu' Eluana n'est qu'un prétexte pour faire du business et imprimer des journaux, pour multiplier des immunités et pour bousculer une nouvelle fois le système judiciaire ».
Dans un précédent post, publié avant la mort de la jeune femme, il dénonce l'instrumentalisation de son histoire pour « démoraliser encore le président et pour mettre à mal son rôle de garant de la Constitution ». Il souligne l'ambition démesurée de Silvio Berlusconi qui essaie, par la maîtrise de ce dossier dramatique, d'utiliser le débat autour de l'euthanasie pour écarter ses adversaires politiques et pour s'attacher l'approbation de l'électorat et des soutiens catholiques. Il qualifie même l'affaire Eluana de simple « divertissement pour les masses ».

Dans d'autres pays européen aussi, le sujet divise la société, comme le montrent les législations, très disparates, des uns et des autres.
Aux Pays-Bas et en Belgique, qui font figure de précurseurs, les médecins prêts à aider leurs patients incurables à mourir ne sont plus passibles de poursuites judiciaires depuis 2002. Sous réserve de respecter de strictes conditions, sous l'œil vigilant de commissions de contrôle des demandes des malades. Le Luxembourg vient de leur emboîter le pas : en février, les députés ont adopté la légalisation de l'euthanasie active. En Suisse, l'aide au suicide est légale : un praticien peut fournir une potion létale à un patient condamné.
Au Danemark, comme en Norvège, Allemagne, Finlande, Hongrie et Espagne, la loi a instauré un droit au « laisser-mourir » (l'arrêt des soins). Les Danois et les Espagnols ont, en prime, la possibilité de rédiger leurs dernières volontés médicales, que les médecins sont tenus de respecter. En Grande-Bretagne, la loi reconnaît la validité des directives anticipées rédigées par les patients : chacun peut refuser un traitement, dût-il en décéder. L'aide au suicide, en revanche, reste un homicide.
En France, Chantal Sébire, décédée le 19 mars 2008, avait demandé en vain une euthanasie active que la loi française interdit.

Certains militants anti-euthanasie ont laissé entendre que la mort de la jeune femme avait été accélérée par des sédatifs au moment où les parlementaires semblaient en passe d'adopter un projet qui aurait imposé qu'on recommence à l'alimenter.
Des militants catholiques ont réclamé une enquête approfondie sur les circonstances de sa mort. La plupart des experts avaient dit s'attendre à ce qu'elle survive deux semaines sans nourriture.

Les résultats préliminaires d'une autopsie de son corps montrent qu'elle a succombé à un arrêt cardio-respiratoire dû à la déshydratation, n'a mis en évidence aucun signe de manipulation illégale malgré les soupçons exprimés par certains, a-t-on fait savoir à Udine de source policière.
Le procureur régional Beniamino Deidda a déclaré à la presse que la cause du décès correspondait à ce qui était attendu en conséquence de sa privation de nourriture et d'eau.

Souffrances infinies d'un père aimant devenu figure médiatique, objet de polémiques sans fin, de prises de position extrêmes. De manifestations de réprobation publique ou de soutien affiché, d'appels vibrants du pape et d’une Eglise bien présents dans la vie quotidienne et politique d’un Etat souverain comme l'Italie, le cas Eluana n’a pas vraiment réglé la question de l’euthanasie.

Majorité et opposition au Sénat italien ont cependant réussi à se mettre d'accord sur la nécessité d'aboutir dans les prochaines semaines à un vote sur une loi régissant la fin de vie.

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