dimanche 15 janvier 2012

A Paris, les Tunisiens fêtent le premier anniversaire de la révolution


A travers une « marche pour les libertés », les Tunisiens de la capitale ont souhaité célébrer à leur manière, la date du départ de Ben Ali.

Dans une ambiance à la fois festive et revendicative, quelque 800 personnes ont manifesté, ce samedi 14 janvier, de la place de la République à la place de la Bastille. Habillés du drapeau de leur pays, les Tunisiens de Paris ont défilé dans le froid, chantant l’hymne national, faisant des youyous.
Mais plus qu’une simple célébration, pour les associations organisatrices, il s’agissait avant tout de s’associer aux luttes encore en cours dans le pays. Tout en rendant hommage aux martyrs, des pancartes rappelaient qu’il fallait rester « fidèles au sang des martyrs » et rester « vigilants » quant aux récents acquis.

Des affiches reflétaient l’inquiétude de certains qui accusent Ennahdha, le parti islamiste, de s'attaquer aux libertés. Un jeune homme brandit une affiche: « Ne touchez pas à notre université », ceci en allusion aux conflits qui ont eu lieu en décembre dernier lorsque des militants islamistes radicaux avaient investi la faculté des Arts et des Lettres de La Manouba, à 15 km de Tunis, pour réclamer le droit aux étudiantes de porter le niqab. Aussi, un groupe criait en arabe « Pas de califat, pas d’émir » en référence aux propos du Premier ministre nahdaoui Hamadi Jebali qui avait appelé à constituer un « 6ème Califat » dans le Monde arabe.

Les partis politiques se sont bousculés à cette marche qui était plus un cortège de partis politiques qu’une manifestation populaire. Des représentants du CPR, d’Ettajdid, d’Ennahdha, et même le député à la Constituante d’Ettakatol Selim Ben Abdessalem étaient au rendez-vous.

Les manifestants entendaient aussi condamner l’ingérence étrangère dans leur pays, à l’image de cette femme d’une quarantaine d’années qui avançait avec une poussette en criant : « Qatar dehors, les Etats-Unis aussi », un homme d’un certain âge s'indignait : « La France a soutenu Ben Ali, nous ne voulons plus qu’elle se mêle de nos affaires », l’ingérence leur fait trop rappeler que leur dictateur Ben Ali avait le soutien de la France jusqu’à ses dernières heures au pouvoir.

Les manifestants qui craignent la montée au pouvoir d’une autre dictature, ne cessent de clamer tout le long du cortège: « nous ne voulons pas d’un nouveau Ben Ali ». Les slogans d’unité reviennent aussi beaucoup, le même monsieur d’un certain âge remarque : « Ils nous ont divisé ». Par « ils » il faut comprendre, Ennahda. Le pays semble divisé entre progressites et islamistes depuis que le parti Ennahda a remporté plus de 40% des voix à l’assemblée constituante en octobre dernier.

Entre tristesse et fierté, les Tunisiens de Paris espèrent toujours voir les objectifs de la révolution, plus de dignité, de liberté, de travail, se réaliser. Plusieurs jeunes s'agacent, déçus « par un gouvernement qui n'a encore rien fait pour lutter contre le chômage ». « On s’attendait à ce que le gouvernement trouve un boulot pour le peuple et c'est le peuple qui lui a trouvé un boulot » dit un jeune tout sourire.

Co-écrit avec Fella Adimi http://fellaadimi.wordpress.com/

vendredi 13 janvier 2012

Tunisie An I: que reste-t-il des promesses de la révolution?


Le 14 janvier 2011, après 23 ans de dictature, Zine el-Abidine Ben Ali était chassé du pouvoir à l’issue d’un mois de manifestation populaire inédite. Première révolution du « Printemps arabe », c’est aussi celle qu’on juge souvent la plus aboutie. Or, a-t'elle tenue ses engagements?

La Tunisie s’apprête à souffler, la première bougie du renversement du président Zine el-Abidine Ben Ali. Une année après la fuite du dictateur, les Tunisiens ont appris les règles du jeu démocratique. Pourtant, la situation économique alarmante et les tentatives de contrôle de l’État par le parti islamiste Ennahdha sont loin d’être rassurantes. Moins d’un mois après la formation du gouvernement, le pays peine a retrouver sa sérénité. Alors que reste-t-il des promesses de la révolution ?

Premier constat depuis l’exil saoudien de Ben Ali, le pays a changé. En octobre dernier, le peuple tunisien a participé à ses premières élections libres de son Histoire. Si le parti islamiste Ennahda est sorti vainqueur de ce scrutin, c’est un "modéré laïc", Moncef Marzouki, un médecin farouchement opposé au régime Ben Ali, qui a été élu à la présidence par l’Assemblée nationale constituante formée suite à ces élections. Or depuis, l’opinion publique s’inquiète de l’improvisation et les mauvais débuts du gouvernement du nahdaoui Hamadi Jebali. En effet, Ennahda n’a pas élaboré de programme économique révolutionnaire, aucune rupture par rapport au régime Ben Ali. Et personne ne sait combien de temps ils vont rester au pouvoir puisque le mandat de la constituante n’a pas encore été décidé.

Mais aujourd’hui, les Tunisiens attendent toujours de récolter les fruits de leur révolution. Le chômage n’a pas baissé, la sécurité n’est toujours pas assurée, aucun des rêves ne s’est réalisé. Les défis à venir continuent de mitiger les succès d’une transition plutôt réussie et illustrée par la mise en place d’institutions légitimes. En effet certains « vices » qui caractérisaient et ont entraîné la chute de l'ancien régime sont toujours là: corruption, chômage et manque d'expérience démocratique.

Deuxième constat, le pays est au bord de la faillite et peine à se relever. La délicate situation économique et la hausse importante du nombre de chômeurs ne rassurent pas la population. Les manifestants, galvanisés par les succès et par l’assurance qu’ils peuvent peser dans le débat public, ne quittent plus la rue. Pas de jour sans manifestation, ni sans grève. Quel que soit le domaine, les demandes sont innombrables et les attentes immenses.
Pour que l’on puisse évaluer la révolution tunisienne, il faut prendre en compte la situation des régions de l’intérieur qui ont déclenché le mouvement. Un an plus tard, elles se retrouvent dans la même situation économique et sociale, voire pire. Le nouveau président Moncef Marzouki a lui-même évoqué un risque de « suicide collectif » si la situation économique ne se redressait pas.

D’ailleurs le phénomène d’immolation n’a cessé d’augmenter. Au cours des six mois qui ont suivi la mort de Bouazizi, au moins 107 Tunisiens ont tenté de se suicider par immolation, rapporte la BBC. Elles correspondent à un cri de détresse de personnes désespérées qui souhaitent attirer l’attention sur la situation économique catastrophique des régions du centre. La différence avec le suicide de Mohamed Bouazizi, c’est qu’aujourd’hui ce ne sont plus des jeunes mais des pères et des mères de famille qui s’immolent.

La plupart des Tunisiens estiment cependant qu'il sera difficile de revenir sur une liberté d'expression chèrement acquise. Le nombre de médias, de partis politiques et d'associations constitue "un bon indicateur" de la vitalité démocratique en Tunisie.
Si la liberté demeure aujourd'hui incontestablement le premier acquis à conserver, l'économie et la croissance sont indispensables pour garantir la survie de la révolution.