samedi 29 octobre 2011

Je comprends mieux les Tunisiens qui ont voté Ennahda.

La Tunisie a voté et Ennahda a gagné. J’ai mis plusieurs jours avant de comprendre le vote de mes compatriotes Tunisiens. Sans doute mon coté français avait du mal a intégrer qu’un parti islamiste modéré soit-il puisse arriver au pouvoir (le débat en France sur la laïcité a laissé des traces !).

La journée de dimanche était juste magnifique. C’était avec une immense fierté que les Tunisiens se sont massivement rendus aux urnes, le 23 octobre pour le premier scrutin libre de leur histoire. Toutefois le lendemain, je me suis réveillée avec une légère gueule de bois. Depuis le scrutin, j’essaye de comprendre ce vote. Je sillonne donc les rues de la capitale et je discute avec les gens. Au cours de mes discussions, je ne constate ni peur, ni crainte, rien tout cela. Et encore moins « l’ombre d’un hiver islamiste » comme le prétende les médias français !

Ennahdha est le parti vainqueur à 41%. Je respecte ce choix démocratique. Cela signifie que la question identitaire était toujours d’actualité en Tunisie. Le mouvement de Rached Ghannouchi a capitalisé sur un désir de retour de l'islam dans l'espace social, pour une garantie de la liberté religieuse. Ce bon résultat confirme aussi l'existence en Tunisie d'une majorité conservatrice que j’ignorais. Car ce qui réunit tous ces hommes, rasés de près ou barbus, et ces femmes, voilées ou non, est la religion. Un attachement qui s'explique par des années de répression. La plupart des Tunisiens estiment qu’il faut restaurer l'authenticité et l'identité arabo-musulmane du pays après les années bourguibisme et de bénalisme.

Durant mes entretiens, j’ai découvert que l’électorat « islamistes » était très éclectique. Des femmes non voilées, des hommes qui aiment boire de temps en temps, la classe moyenne et même quelques intellectuels. Le réservoir électoral initial qui se limitait, dit-on, à quelque 20 000 militants, s’est élargi grâce aux adhérents post-14 janvier, mais la campagne électorale a aussi permis au mouvement de ratisser large. Pour Khomsi, 52 ans chauffeur routier : « Ennahda va offrir ce que la révolution tunisienne a demandé : du travail, de la liberté, une démocratie et l'arrêt de la corruption ».

En effet, le parti jouit d’une très bonne image car pour beaucoup de Tunisiens, Ennahda est celui qui a payé le plus lourd tribut à la dictature de Ben Ali en raison du passé militant de ses dirigeants. Au sortir de 23 ans d’un régime corrompu, les Tunisiens sont très méfiants à l’égard des partis politiques. Un parti islamiste modéré, qui a souffert de la répression, inspire davantage confiance.

Conscient d'avoir à encore convaincre, Ghannouchi multiplie les déclarations apaisantes depuis sa victoire. «Chacun vivra selon ses convictions dans le cadre de la loi», «le mode de vie des Tunisiens ne sera pas touché», a-t-il encore assuré. Après vingt ans d'exil forcé pour les membres de cette formation, Ennahda s'est employée à présenter un visage modéré et moderne, se réclamant ouvertement du modèle turc, pendant la campagne électorale. Le parti ne veut pas imposer la charia (loi coranique que la Libye voisine veut prendre comme source de sa législation) et ne remettra pas en cause le statut de la femme tunisienne, le plus avancé du monde arabe. « On va l’essayer un an ou deux et si ça ne marche pas, on lui dira: dégage!», explique Sofianne, un commerçant de 30 ans.

Ennahda a été élu démocratiquement : il faut lui donner une chance. Sa pratique du pouvoir nous dira si les accusations de double discours dont il est l’objet sont fondées. Sans compter que, dans une démocratie naissante, un message basé sur la religion est souvent plus accessible qu’un message purement politique,

A regarder le chemin parcouru, cependant, je considère que l'avenir qui s'offre à la Tunisie est non pas une menace, mais une chance. La société tunisienne est depuis longtemps sécularisée et n’a pas l’intention de céder sur ses acquis, notamment en matière de droits des femmes. Je reste donc optimiste !

mardi 18 octobre 2011

Tunisie : Tensions entre islamistes et laics avant les élections


A l’heure où Ennahdha apparaît comme la force politique la mieux structurée du pays, l’inquiétude gagne les rangs des militants laïcs quant au danger que constituerait une éventuelle remise en question du projet moderniste du pays.

Depuis une semaine, un face-à-face à distance entre «laïcs» et «religieux» met mal à l'aise la classe politique, car elle recentre le débat sur la place de la religion au cœur de la campagne. En effet, tout a commencé par la diffusion du film d’animation franco-iranien Persepolis par la chaine Nessma. Le film contient une représentation de Dieu - ce que l’islam proscrit – et a causé un tollé parmi les spectateurs. Vendredi, après la fin de la prière, des milliers de salafistes sont montés vers la Kasbah. Le cortège se composait de quelques d'intégristes réclamant le retour aux sources de l'islam et l'instauration d'un califat. Devant la polémique, Nabil Karoui, le patron de Nessma, a été contraint de présenter ses excuses aux Tunisiens. Il fait aussi l’objet d’une procédure judiciaire, de même que ceux qui ont traduit le dessin animé en arabe.

En réplique à la mobilisation des islamistes, le camp laïque a organisée dimanche, une marche pour la défense de la liberté d’expression. Placée sous le mot d'ordre "Aâtakni" ("fous-moi la paix"), près de 2500 personnes ont réclamé un Etat civil après les élections. «La Tunisie pour tout le monde. Oui à un État civil», scandaient la foule. Dans le cortège, les femmes étaient très présentes. Certaines ont la bouche bâillonnée par du ruban adhésif. «Toutes les femmes tunisiennes ont peur pour leurs filles, leur liberté», explique une manifestante. « Je me battrais jusqu'à la mort », jure Lilia, professeur de philosophie. A noter que peu de femmes voilées ont rejoint le cortège. Pour la plupart des manifestants, l'initiative de Nessma TV est qualifiée de «maladroite». « Ce n’est pas grave du tout, car tout le monde s’est déjà fait une représentation de Dieu dans sa tête », explique Sofiane, 39 ans.

Depuis l’affaire Persepolis Ennahda qui est présenté comme les favoris des élections reste sur ses gardes. Et les deux principales formations de centre gauche, Ettakatol et le Parti démocrate progressiste restent étrangement silencieuses. Toutefois ce clivage entre «laïcs» et «religieux» gêne la nouvelle classe politique, qui cherche à dégager des consensus pour réussir la transition vers la démocratie. On sent qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que la transition démocratique, exemplaire jusqu'à présent, dérape. Nombreux sont les Tunisiens qui retiennent leur souffle.

Ennahdha est-il vraiment une menace pour la Tunisie? Une certitude: même si ce parti arrive en tête il n'aura pas la majorité à lui tout seul. Impossible avec le mode de scrutin. Force est de constater que, a cinq jours de ce rendez-vous électoral historique et crucial, rares sont ceux qui sont réellement convaincus par un choix de vote. Beaucoup ignore que l’enjeu principal de cette Assemblée est la rédaction d’une nouvelle Constitution qui préservera les libertés des citoyens et évincera tout retour possible de la dictature. Car la première préoccupation des Tunisiens est surtout économique.

jeudi 6 octobre 2011

Constituante 2011 : Ou va la Tunisie ?

Neuf mois après la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali, le pays initiateur des révolutions arabes s’apprête à se rendre aux urnes pour élire une assemblée constituante.


Les Tunisiens s'apprêtent à faire l'apprentissage de la démocratie. Le 23 octobre les électeurs participeront pour la première fois à des élections libres pour désigner l'Assemblée chargée de rédiger la Constitution de la IIe République.

Longtemps confrontés à l'hégémonie d'un parti unique, les Tunisiens auront à faire un choix difficile parmi une multitude de partis et de candidats indépendants, la plupart méconnus des électeurs. Face à cette profusion, les Tunisiens restent dubitatifs et indécis, même si les cinq ou six formations politiques historiques devraient rafler le plus gros des sièges de la constituante, selon les observateurs et les derniers sondages --interdits depuis samedi dernier.

Sur les 111 partis légalisés dans leur grande majorité après "la révolution du 14 Janvier", 81 seront en lice dans les 33 circonscriptions électorales (dont six à l'étranger) pour ce scrutin à la proportionnelle. Selon les dernières statistiques de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), 1.541 listes comprenant près de 11.000 candidats se disputeront les 217 sièges de la future Constituante.

S'il est difficile de prévoir où va la Tunisie dans le contexte actuel, il est néanmoins possible d’identifier quelques orientations électorales. C’est ce qu’a voulu démontrer le Think Tank Emergens/Rabii-Tounes, en organisant un débat à Paris, afin de positionner 3 des principales formations politiques : Ennahdha, Ettakatol et Parti Démocratique Progressiste (PDP).

Chaque intervenant a présenté son programme et a souligné les points de convergence avec son voisin. Le représentant d’Ennahda Samir Dilou a affirmé que l’idéologie de son parti est aujourd’hui en conformité avec les exigences des temps modernes, il fait même état de modestie : « Nous ne voulons pas être les seuls au pouvoir », assure-t’il. Car à la veille de la Constituante, Ennahda est en tête de tous les pronostics. Les islamistes jouissent en effet d’une grande notoriété et s'appuient sur le plus important réseau de soutien dans la société.

Durant le débat, Samir Dilou a évité les sujets controversés et inquiétants quant aux changements que le parti islamique prévoit dans la société tunisienne, si Ennahda obtenait la majorité. Le discours est uniquement orienté sur l’éradication de la corruption et le droit à l’emploi pour les Tunisiens. Des thèmes qui ont alimenté la révolution du 14 janvier.

Sahbi Grira, le représentant du PDP a axé son discours sur "deux grands programmes": création d'emploi et développement des régions intérieures du pays. Le PDP prône une politique d'investissements publics massifs, de soutien aux PME, et vise le doublement des investissements directs étrangers en Tunisie en assouplissant les textes les régissant. En matière sociale, le PDP a plaidé pour une "fiscalité équitable", notamment par la création d'une "TVA solidaire" et la revalorisation du salaire minimum (Smig) à 340 dinars.

Ettakatol, a travers son chef de file pour la circonscription France Nord Selim Ben Abdessalem, s’est engagé a adopter une orientation politique renforçant la démocratie et la lutte contre les inégalités sociales et régionales. Parmi les autres thématiques abordées par le candidat, citons l’égalité femmes /hommes, la séparation du politique et du religieux et l’accès à la culture pour tous, même dans les régions les plus reculés. Ettakatol a proposé également de consacrer environ un milliard de dinars, prélevé sur le budget de l'Etat de l'année 2012, à la création de 100.000 emplois dans le secteur public, une solution d'urgence pour réduire le chômage des jeunes.

La discussion s’est animée lorsque le modérateur a demandé s’il existait un pacte entre Ennahda et Ettakatol comme le prétendait le PDP. En effet, le nom de Mustapha Ben Jaafar serait cité pour succéder à l’actuel président par intérim Foued Mbazaa après les élections du 23 octobre. Bien que la question fût claire et directe, la réponse de Mustapha Ben Jaâfar, présent lors du débat, était imprécise et évasive. Il ne dit pas qu’il va accepter une alliance avec Ennahdha, mais il ne rejette pas non plus, à l’instar du PDP.

Toutefois, les trois formations politiques présentent au débat n’ont pas su répondre aux interrogations des Tunisiens présent dans la salle sur le texte fondamental d'organisation des pouvoirs publics du pays. Quelles seront les modalités de rédaction de la future constitution ? Quelles seront les préférences des partis sur les portefeuilles ministériels à pourvoir ? C’est sur ce premier aspect que la Tunisie devra relever le défi de la démocratie.

Illustration : les logos des partis tunisiens ; cartographie des partis tunisiens (Fhimt.com).